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25 décembre 2020

La machine

 


L’homme fixait la route qui dévalait le flanc de la montagne en l’enlaçant de ses méandres. Il attendait là, adossé à un sapin centenaire, dernier monument d’une forêt qui avait changé d’essence pour poursuivre le chemin de son temps selon les intérêts de court-terme de ceux qui l’exploitaient. Il trônait solitaire sur un escarpement, témoin de ce que la fureur des éléments ainsi que l’avidité des hommes n’avaient pu mettre fin à son existence.

L’homme était là, face au ruban sombre de l’asphalte qui s’étirait de l’autre côté de la vallée et que les ans d’un insuffisant entretien avaient crevassé de-ci de-là en obligeant les voitures à aller cahin-caha, les unes jusqu’au sommet, les autres jusqu’au fond de la vallée.

Mais ce jour était spécial, la route avait été fermée pour les raisons qu’un arrêté municipal en rendait obscures et auquel il ne s’était même pas attaché à prendre la peine ne serait-ce que de vouloir y poser son regard.

Il avait eu vent des vraies raisons de la fermeture de cette voie sinueuse et relativement dangereuse et il comprenait bien qu’il avait été pris là, toutes les précautions pour ne point y attirer les foules.

Un de ses parents participant au cœur du projet qu’il avait deviné en avait éventé les causes par une maladresse langagière qui fut elle-même cause du lapsus révélateur qui suivit et dont il avait su interpréter le sens.

Il est des circonstances où à vouloir éviter de faire comprendre les choses à quelqu’un qui en a la faculté ne fait que de lui faire découvrir. Il avait promis d’en conserver le secret et c’est pour cette raison qu’il se trouvait seul dans cet endroit isolé à attendre au pied de son arbre et ressentir les effets de l’adrénaline qui l’envahissait au fur et à mesure que l’heure présumée d’apparition de l’évènement attendu approchait.
Il était venu bien en avant afin de reconnaître les lieux, d’en comprendre l’intérêt, de reconnaître ses pièges.

Il avait des connaissances en géologie et connaissait bien la morphologie du terrain qu’il observait. La route enjambait à chacun de ses niveaux une cascade qui rebondissait d’éperon rocheux en éperons rocheux. Le temps avait été assez mauvais ces derniers jours et le débit de la torrentueuse tombée d’eau était devenu si important qu’il remarqua qu’il s'était créé une dérivation dont le cours semblait se dissoudre sous l’asphalte de la route qu’elle était censée épargner.
Il dirigea plus précisément ses jumelles vers le point précis de l’infiltration et vit que la chaussée s’était effondrée. Il devait être difficile de percevoir cette anomalie lorsque l’on circulait d’amont en aval sauf pour les conducteurs aguerris aux irrégularité des chaussées lorsque des évènements climatiques autant exceptionnels et violents les rendaient impraticables.

Il ne s’attarda pas outre mesure gardant en mémoire ce point particulier du trajet qui à son avis, pouvait poser quelques problèmes inattendus aux organisateurs de l’expérimentation. Et à vrai dire, qui pouvait-il prévenir de cette problématique alors qu’il était censé ne rien savoir ?

Il continua à parcourir la route de son regard et identifia les différents obstacles qui avaient été déposés en quelques endroits qui devaient compliquer la conduite d’un conducteur audacieux et aguerri.

L’heure approchait. Derrière sa passivité apparente, l’excitation de la curiosité le prenait. Sur quel obstacle de ceux qu’il avait identifiés et analysés avec soin, le sort déciderait de l’échec ou de la réussite de l’expérience ?

La vallée courait nord-sud et le front de montagne s’étendait en est. Sur son promontoire il pouvait tout voir, voir l’hélicoptère venant du sud et dont le bruit des pales et du rotor l’avait alerté de son arrivé. Il était haut dans le ciel et devait pouvoir voir le col duquel descendait la route. Il s’y approchait puis se mit à stationner dans l’espace des cent mètres au-dessus de son objectif. Un cameraman devait se trouver à bord afin de produire les images qui plus tard, pourront être exploitées afin de témoigner d’une réussite ou d’un exploit.

Au point le plus haut de la route, il vit apparaître des drones dont la fonction était certainement de prendre des images sous différents angles et de recueillir toutes données susceptibles de permettre de relater les péripéties et d’en analyser ses épisodes successifs.

Enfin, elle apparut dans sa livrée d’un rouge éclatant comme empruntée à une Ferrari pour revêtir une Tesla !

Ses vitres sombres ne permettaient pas de voir l’intérieur mais il savait qu’il n’y avait personne à bord. Elle devait être capable de prouver sa parfaite et entière autonomie. Le voyage qu’elle effectuait faisait partie d’un certain nombre d’autres dont le but était de permettre son homologation à pouvoir circuler librement parmi ses consœurs tenues en laisse.

Il vit la voiture descendre d’une conduite souple ; accélérant, ralentissant, manœuvrant avec intelligence et agilité. Il en était ébahi et sous l’emprise de l’excitation, souhaita même qu’elle parvint jusqu’à la fin de son périple qui devait la qualifier, mais le sort en décida autrement.

Arrivé à l’endroit qu’il avait repéré comme pouvant être un problème, la voiture ne le vit pas. A l’instant où elle posa son pneu droit sur l’asphalte miné par la dérivation d’eau de la cascade, celui-ci s’enfonça d’une hauteur dépassant la garde de sa suspension. L’arrière se souleva d’un coup en la projetant contre la paroi de la montagne. Elle rebondit et retomba sur le toit. Le bruit soudain le fit sursauter.

Ainsi se terminait l’aventure d’une création qui n’était pas encore prête à conquérir le monde.
Ah, ben oui, se prit-il à marmonner : « Ce n’est qu’une machine après tout »!

Désappointé, sur ce constat d’échec, il entreprit de quitter son poste d’observation. S’avançant d’un pas, il buta contre une racine affleurante du sapin et chuta.

Jean Pierre Bouvier le 25 décembre 2020.


19 décembre 2020

L'Homme au sein de l'évolution

 

 La caverne de verduron (Marseille)

C’est au moins dans l’instant d’une singularité que l'évolution de l'homme a commencé pour se poursuivre jusque dans le futur en se projetant à travers ses propres créations qui de fait ne sont que celles de la nature et des lois primordiales qui l’animent.

Il n’est point de rupture sinon que celles qui ne sont autres que l’absence de conscience d’une continuité des relations de causes à effet pour lesquelles l’homme a donné une définition, un concept, celui de hasard, de volonté divine, du sort de chacun, toutes choses qui paraissent devoir échapper à son entendement.

 Pour remédier à ces discontinuités de la connaissance, les uns ont créé les Mormons, les autres Google mais l’individu restera toujours avec ses manques que sont les anfractuosités et cavernosités de ses croyances dans lesquelles se déploie et s'épanouit son imaginaire.

Jean Pierre Bouvier le 19/12/2020 

#Sciences #Philosophie

16 décembre 2020

Le Manque et l'espoir

 


 

Le manque est l’espoir.

Chères vieilles, chers vieux, je m’interroge en bon penseur que je prétends être, enfin jusqu’à ce que les grands de mes petits-enfants m’aient surpassé (qu’ils n’en titrent pas titre de gloire, c’était facile !).

Faut-il que j’accepte les invitations à festoyer pour venir caresser du regard les doux visages de mes petites-filles et petits-fils bien aimés. Il est vrai que Noël est une occasion rêvée pour porter notre regard sur le merveilleux que la nature nous a offert.

Oui je sais, passer de trépas aujourd’hui ou demain, après Johnny, Chirac, Giscard et bien d’autres, n’ajouterai qu’à notre gloire d’avoir résisté à une disparition précoce toujours possible mais en fin de compte, rendre l’âme aujourd’hui ou demain quelle différence cela fera-t-il dans dix ans sinon que par la seule évocation de la date elle-même rendrait compte de notre irrémédiable éloignement du temps pour finir par sombrer dans l’inévitable oubli faute de témoin ?

Mais à vrai dire, ce n’est pas ce qui me préoccupe car il me suffit de me réveiller le matin en prenant conscience que je fais toujours partie des vivants en me satisfaisant d’accueillir un jour nouveau à additionner ou soustraire selon que l’on en connaisse sa fin ou non...

Mourir du Covid, j’avoue que j’y préférerais une bonne crise cardiaque qui éviterait de faire subir à mes proches de faux instants de malheur ou de bonheur selon ce que les uns et les autres pourraient percevoir de ma vie en la saluant de ses expressions inénarrables tels que « Enfin ! » ou « Si jeune ! » ; quoique le seconde puisse devenir paradoxale à force d’accumuler les années !

En réalité, ce qui me vient surtout à l’esprit dans cette fin d’année éminemment dangereuse est ce qui pourrait advenir si par pur hasard, sans même se douter, l’un de mes petits-enfants devait être porteur ou transporteur à corps défendant de cet infâme et monstrueuse engeance qui même dans un contexte fortement sécurisé profiterait d’une imperceptible faille circonstancielle pour venir se réchauffer au sein d’un corps que les âges n’auront de toute façon pas épargnés.

Mourir aujourd’hui ou demain disais-je…

Oui, mais si l’un d’entre-ceux qui survivrait devait ultérieurement apprendre qu’il portait le virus à cette époque de l’année, ne serait-il pas alors comme l’amant perdu qui calculerait l’âge de l’enfant né dans les neuf mois d’un dernier ébat ?

Eviter que naisse une si grande supposée culpabilité dans l’esprit de l’un d’entre mes amours vaut bien que l’on prenne le risque de devoir partir sans avoir eu l’occasion de les presser une dernière fois contre soi.

Et puis, pour retrouver l’espoir n’est-il pas nécessaire de manquer ?

Bons Noël et Fin d’année !

Jean Pierre Bouvier le 16/12/2020

28 mars 2020

Raphaël Enthoven et le hamster





Le philosophe Raphaël Enthoven. J. SAGET/AFP

La nuit, mon cerveau se raconte des histoires en m’en laissant quelques brides à mon réveil ; c’est ainsi qu’il m’a laissé à réfléchir une fois de plus au paradoxe de la grand-mère paternel de mes petits-enfants que je découvrirais ultérieurement car pour l’heure, il m’a aussi laissé à réfléchir sur un article paru dans l’Express en ligne du lundi 23 mars dans lequel il est rapporté une interview avec Raphael Enthoven qui anime une célèbre émission de philosophie les samedis à 23h15.

L'Express : Faut-il aborder le confinement comme une expérience philosophique ?  
Raphaël Enthoven : Imaginez un hamster dont la roue est cassée. Qui n'a plus les moyens de courir pour se donner le sentiment d'aller quelque part. Nous en sommes là. Comme le hamster, nous faisons du surplace, nous accélérons indéfiniment, et nous n'allons nulle part. C'est ainsi qu'on survit, en temps normal. Et on ne peut survivre ainsi que parce qu'on veut l'ignorer. L'être humain n'accepte sa misère que s'il parvient à interposer le maximum d'esquives entre lui-même et la conscience de sa misère. »

L’exemple du hamster a attiré l’attention de mes neurones endormis surtout lorsqu’on lui prête le sentiment d’aller quelque part. Je ne dénie pas au hamster d’avoir des sentiments et ceci d’autant que je pense que les animaux n’en sont pas dénués, pas plus que les humains, mais je me demande si vraiment se faisant, il obéit à une intention que pousserait le sentiment de devoir aller quelque part. Est-ce qu’un enfant qui fait du manège dans la cour de récréation à la volonté d’aller quelque part ou bien ne fait-il que répondre à des besoins de dépenses physiques productrices de sensations ?

Autant dans l’enfant que le hamster, j’ai tendance à penser que la réponse est dans le besoin physique de notre corps de se dégourdir plutôt dans celui de notre cerveau d’en rechercher une réponse philosophique !
Mais alors, quelle serait le rapport entre le confinement des êtres humains et le hamster ?
La réponse vient dès lors que l’on se pose la question de savoir s’il existe beaucoup de roues, et de manèges naturels dans la nature pour donner le sentiment à l’un et à l’autre d’aller quelque part ?

Même si la Terre tourne autour de son axe, la roue reste principalement une création de l’homme ce qui implique que le hamster ne peut avoir pour ambition de devenir tourneur de roue. En réalité, dès lors qu’il met ses pattes dans une de ces roues inventées par l’homme, la probabilité que le mouvement des membres du corps produisent un déséquilibre gravitationnel faisant tourner la roue est grande alors que par réflexe, il essaiera de se raccrocher au barreau venu à la hauteur de vue en quittant celui qui lui a échappé. Ainsi entraîne-t-il et entretient-il le mouvement de rotation de la roue.

S’il prend le plaisir à y revenir, ce n’est pas pour aller quelque part, mais bien pour se dépenser et peut-être, pour ne point souffrir d’anthropomorphisme, de ressentir le sentiment d’un bien être corporel et par voie de conséquence, mental.
Le hamster ne cherche pas à aller quelque part car en fait aller quelque part, c’est aller ailleurs que là où l’on est. S’il voulait aller ailleurs, il regarderait en dehors de sa cage en recherchant la vision de son ailleurs à défait d’avoir un imaginaire pour ce faire, mais qui sait ?

La conscience de la misère est une notion différentielle en relation avec différentes époques de notre mémoire. Nous sommes conscients de notre misère que dès lors que nous pouvons aller ailleurs, dans notre mémoire pour comparer différends lieux temporels. L’homme ne crée pas d’esquives pour  les placer entre lui-même et sa conscience, il ne fait qu’oublier la conscience qu’il a de ses perceptions et ceci d’autant mieux que la conscience qu’il a de ses états d’âme n’est pas sous le contrôle de sa volonté mais seulement sous celles résultant des mécanismes de son inconscient.

L’homme ne peut oublier par volonté car dès lors qu’il le veut, il lui revient en mémoire consciente l’objet même de sa volonté de sorte qu’il ne peut rien introduire entre sa conscience et son inconscient. La volonté consciente entraîne une dépense d’énergie, une fatigue de sorte que l’inconscient finit par la déconnectée pour s’orienter vers d’autres objets de pensée.

Jean Pierre Bouvier le 28/03/2020

(1)    L’Express Raphaël Enthoven : Comme le hamster, nous faisons du surplace.

Commentaire de mon philosophe préféré en devenir:

Oui c'est vrai que c'est vrai. Enthoven s'inspire de Pascal mais celui-ci ne dit pas que le divertissement est l'envie d'aller voir ailleurs si j'y suis, seulement l'évitement inévitable de la question de l'Ailleurs (un ailleurs qui ne prendrait des souvenirs de nos voyages que le fait que nous n'y sommes plus 😭). Mais cette question du voyage absolu qui s'oppose à son évitement n'est elle pas une (tentative de) trahison de la raison envers sa mère sensation ? S'imaginer une grâce extérieure qui viendrait la combler, elle...(mais une raison comblée n'est plus que son produit). Et si l'évitement est inévitable l'inévitement aussi, sinon comment se fait-il que la question obsède tant les philosophes et les curés ? Mais à moins d'être un moine on ne peut pas tout le temps penser comme un curé...